La fonction publique française impose traditionnellement à ses agents de se consacrer exclusivement à leur mission de service public, une obligation qui découle directement de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits des fonctionnaires.
Cependant, avec l'évolution des pratiques professionnelles, le cadre légal s'est progressivement assoupli pour permettre aux fonctionnaires d'entreprendre sous certaines conditions.
Découvrons ensemble, à travers cet article, les différentes possibilités qui s'offrent aux agents publics souhaitant créer leur entreprise, ainsi que les démarches et contraintes associées.
Le principe fondamental : une activité professionnelle dédiée au service public
La règle générale demeure claire et sans ambiguïté : les fonctionnaires doivent consacrer l'intégralité de leur activité professionnelle aux missions qui leur sont confiées par l'État.
Cette obligation découle d'une volonté de garantir l'impartialité, l'indépendance et l'efficacité du service public.
Néanmoins, le législateur a prévu plusieurs dispositifs permettant aux fonctionnaires de développer une activité entrepreneuriale, sous réserve de respecter certaines conditions strictes et d'obtenir les autorisations nécessaires.
Les différentes options pour entreprendre en tant que fonctionnaire
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La création d'entreprise à temps partiel : une solution équilibrée
L'une des options les plus prisées consiste à demander un temps partiel pour créer ou reprendre une entreprise.
Cette possibilité est particulièrement intéressante pour les fonctionnaires qui souhaitent tester leur projet entrepreneurial tout en conservant la sécurité de leur emploi public.
Toutefois, plusieurs conditions doivent être respectées :
Premièrement, l'agent doit solliciter une autorisation écrite auprès de sa hiérarchie au minimum trois mois avant le lancement prévu de l'entreprise.
Cette demande n'est pas une simple formalité : l'administration évalue attentivement si le temps partiel envisagé est compatible avec le bon fonctionnement du service.
Deuxièmement, une fois l'autorisation de la hiérarchie obtenue, celle-ci dispose d'un délai de quinze jours pour saisir la commission de déontologie.
Cette commission joue un rôle crucial puisqu'elle examine pendant deux mois la compatibilité du projet entrepreneurial avec les fonctions exercées par l'agent.
En cas d'avis favorable, le fonctionnaire peut alors cumuler ses deux activités pendant une période de deux ans, avec la possibilité de prolonger d'une année supplémentaire.
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Le cas particulier du temps incomplet : une liberté entrepreneuriale accrue
Les fonctionnaires travaillant à temps incomplet, c'est-à-dire moins de 70% de la durée légale du travail, bénéficient d'un régime plus souple.
Ils peuvent créer leur entreprise sans limitation de durée, quel que soit le secteur d'activité choisi ou le statut juridique adopté.
La seule restriction majeure concerne l'obligation de ne pas porter atteinte à leur mission de fonctionnaire et à la neutralité du service public.
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L'exercice d'une activité accessoire : une alternative intéressante
Pour les fonctionnaires souhaitant conserver leur emploi à temps plein tout en développant une activité entrepreneuriale, l'exercice d'une activité accessoire représente une option à considérer.
Cette possibilité nécessite l'autorisation de la hiérarchie, qui dispose d'un mois pour se prononcer à compter de la demande écrite.
Les activités accessoires autorisées couvrent un large spectre :
- Les missions de consultant
- L'enseignement et la formation
- Les activités agricoles
- Les services d'aide à la personne
- L'exercice d'une activité en tant que conjoint collaborateur
- L'encadrement culturel ou sportif
- La vente de biens fabriqués personnellement, dans la limite des plafonds fixés pour les auto-entrepreneurs.
Les restrictions et interdictions à connaître
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Les statuts juridiques soumis à dérogation
Certains statuts juridiques sont par défaut interdits aux fonctionnaires sans dérogation spécifique. C'est notamment le cas pour :
- La gérance d'une SARL ou d'une EURL
- La présidence d'une SAS ou d'une SASU
- Le statut d'auto-entrepreneur
Ces restrictions visent à prévenir tout conflit d'intérêts et à garantir la disponibilité du fonctionnaire pour ses missions de service public.
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L'exception artistique : une liberté totale
Dans ce paysage de restrictions et d'autorisations, l'art constitue une exception notable. Les fonctionnaires peuvent librement développer et monétiser une activité artistique sans avoir besoin d'obtenir une dérogation ou une autorisation préalable.
Cette disposition reconnaît la spécificité de la création artistique et son caractère personnel.
La mise en disponibilité : une option pour se consacrer pleinement à son projet
Pour les fonctionnaires souhaitant se consacrer entièrement à leur projet entrepreneurial sans pour autant rompre définitivement avec la fonction publique, la mise en disponibilité représente une solution intéressante.
Ce dispositif permet de bénéficier d'un congé non rémunéré d'une durée maximale de deux ans.
La demande de mise en disponibilité doit être approuvée par l'autorité administrative, qui peut exiger un préavis allant jusqu'à trois mois.
Cette option permet de tester son projet entrepreneurial tout en conservant la possibilité de réintégrer la fonction publique en cas de besoin.
Le départ définitif : conditions et avantages financiers
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La procédure de démission pour création d'entreprise
Les fonctionnaires décidant de quitter définitivement la fonction publique pour se consacrer à leur projet entrepreneurial doivent suivre une procédure spécifique. Il est nécessaire d'informer sa hiérarchie par écrit au moins trois mois avant la date prévue d'immatriculation de l'entreprise.
Le dossier est ensuite transmis à la commission de déontologie, qui dispose de trois mois à partir de la création effective de l'entreprise pour valider la compatibilité de l'activité avec les intérêts de l'État.
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L'indemnité de départ : un soutien financier significatif
Un avantage considérable pour les fonctionnaires démissionnaires créateurs d'entreprise réside dans la possibilité de bénéficier d'une indemnité de départ pouvant atteindre deux années de rémunération brute. Pour en bénéficier, plusieurs conditions doivent être remplies :
- Être à plus de cinq ans de l'âge de départ en retraite
- Fournir le Kbis de l'entreprise dans les six mois suivant le départ
- Présenter les comptes annuels du premier exercice ou des documents attestant de la réalité de l'activité entrepreneuriale
Le versement de cette indemnité s'effectue en plusieurs fois : une première partie à la réception du Kbis, puis le solde après validation des documents prouvant la réalité économique de l'activité.
Le statut social du fonctionnaire entrepreneur
La création d'une entreprise par un fonctionnaire implique des obligations en matière de protection sociale. L'agent doit s'affilier au régime correspondant à son nouveau statut :
- Le régime des travailleurs indépendants
- Ou le régime général de la sécurité sociale en cas de rémunération salariale
Cette affiliation s'effectue en parallèle du maintien de ses droits liés à son statut de fonctionnaire, créant ainsi une situation de double rattachement aux organismes de protection sociale.
La déontologie et les précautions à prendre
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La prévention des conflits d'intérêts
Le fonctionnaire entrepreneur doit être particulièrement vigilant quant aux potentiels conflits d'intérêts entre son activité publique et son activité privée. Il est essentiel de :
- Éviter toute confusion entre les deux activités
- Ne pas utiliser les ressources du service public à des fins privées
- S'abstenir de faire référence à sa qualité de fonctionnaire dans le cadre de son activité entrepreneuriale
- Respecter strictement le devoir de réserve et le secret professionnel
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La gestion du temps et des responsabilités
La double activité nécessite une organisation rigoureuse pour :
- Respecter les horaires de service public
- Garantir la qualité du service rendu dans les deux activités
- Maintenir un équilibre professionnel sain
- Éviter tout débordement d'une activité sur l'autre
Les aspects fiscaux à considérer
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La déclaration des revenus
Le fonctionnaire entrepreneur doit veiller à :
- Déclarer l'ensemble de ses revenus, tant publics que privés
- Respecter les obligations fiscales liées à chaque activité
- Tenir une comptabilité distincte pour son activité entrepreneuriale
- Anticiper les implications en termes d'imposition globale
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La TVA et les autres taxes professionnelles
Selon le statut choisi et le chiffre d'affaires réalisé, le fonctionnaire entrepreneur devra également :
- S'immatriculer à la TVA si les seuils sont dépassés
- S'acquitter des taxes professionnelles applicables
- Gérer la fiscalité spécifique à son secteur d'activité
En conclusion, la création d'entreprise par un fonctionnaire, bien que soumise à un cadre réglementaire strict, n'est pas impossible.
Les différentes options disponibles permettent à chacun de trouver la formule la plus adaptée à son projet et à sa situation personnelle.
Qu'il s'agisse d'un cumul d'activités à temps partiel, de l'exercice d'une activité accessoire, ou d'un départ définitif de la fonction publique, chaque solution présente ses avantages et ses contraintes.
La clé de la réussite réside dans une préparation minutieuse du projet, une bonne compréhension des obligations administratives et le respect scrupuleux des procédures d'autorisation.
L'accompagnement par des professionnels (experts-comptables, avocats) peut s'avérer précieux pour naviguer dans ce cadre juridique complexe et optimiser ses chances de succès.
La multiplication des dispositifs d'accompagnement et l'assouplissement progressif de la réglementation témoignent d'une volonté de faciliter l'entrepreneuriat des fonctionnaires, tout en préservant les principes fondamentaux du service public.
Cette évolution reflète l'adaptation de la fonction publique aux nouvelles réalités du monde du travail et à l'aspiration croissante des agents à diversifier leurs activités professionnelles.