Le mariage et l'entrepreneuriat représentent deux engagements majeurs dans une vie qui peuvent parfaitement coexister, à condition de bien comprendre les implications juridiques et pratiques de leur association.
La création d'une société lorsqu'on est marié nécessite une attention particulière à certains aspects spécifiques, notamment en ce qui concerne les régimes matrimoniaux et leurs impacts sur la propriété des parts sociales, c'est pourquoi il est essentiel de bien se renseigner avant de se lancer dans l'aventure entrepreneuriale.
Les fondamentaux de la création d'une société en étant marié
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Un droit reconnu par la loi
Contrairement à certaines idées reçues, le statut marital n'est en aucun cas un obstacle à la création d'une entreprise, comme le confirme explicitement l'article 1832-1 du Code civil pour tous les couples mariés.
Les conditions fondamentales qui s'appliquent restent identiques à celles de tout entrepreneur, incluant la nécessité d'apports, l'affectio societatis qui traduit la volonté de s'associer, ainsi que l'engagement de participer aux bénéfices comme aux pertes de l'entreprise.
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Les étapes essentielles de la création
- La rédaction des statuts
La création d'une société implique plusieurs démarches administratives incontournables, dont la première est la rédaction des statuts, document fondamental qui définit l'ensemble des règles sociales, fiscales et juridiques de l'entreprise.
Ces statuts doivent obligatoirement inclure la forme juridique choisie, les apports de chaque associé, l'objet social, la dénomination sociale, l'adresse du siège social, le montant du capital social, ainsi que la durée de vie prévue pour la société.
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Le dépôt du capital social
Vient ensuite l'étape du dépôt du capital, dont les exigences varient selon la forme juridique adoptée : alors que les SARL, EURL, SAS, SASU, SCI et SNC ne nécessitent qu'un euro minimum, les SCA (sociétés en commandite par actions) et SA requièrent un capital minimum de 37 000 euros, tandis que les SCS (sociétés en commandite simple) n'ont pas de minimum légal imposé.
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L’accomplissement des formalités administratives
La publication d'une annonce légale constitue une étape obligatoire pour informer le public de la création de la société, suivie de l'immatriculation qui, depuis le 1er janvier 2023, doit être effectuée exclusivement en ligne sur la plateforme du Guichet unique.
La procédure se termine par la domiciliation, qui consiste à attribuer une adresse administrative officielle à la société nouvellement créée.
L'impact crucial du régime matrimonial
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Les quatre régimes matrimoniaux et leurs implications
- La communauté réduite aux acquêts
Le régime de la communauté réduite aux acquêts, qui s'applique par défaut en l'absence de contrat de mariage, prévoit que les biens acquis avant le mariage restent propres à chaque époux, tandis que ceux acquis après le mariage deviennent communs aux deux époux, ce qui signifie que les parts sociales acquises avec des biens communs appartiennent également aux deux époux.
- La communauté universelle
Dans le cadre de la communauté universelle, tous les biens sont partagés entre les époux, ce qui implique que les parts sociales acquises pendant le mariage appartiennent automatiquement au couple, créant ainsi une situation de copropriété systématique des actifs de l'entreprise.
- La séparation de biens
La séparation de biens représente souvent la solution idéale pour une création d'entreprise claire et simple, puisque chaque époux reste propriétaire de ses acquisitions personnelles, et les parts sociales appartiennent exclusivement à l'époux qui les a acquises, évitant ainsi toute confusion patrimoniale.
- La participation aux acquêts
Le régime de la participation aux acquêts constitue une solution hybride qui fonctionne comme une séparation de biens pendant le mariage, mais prévoit un partage des acquêts lors de la dissolution du mariage, offrant ainsi un équilibre entre autonomie entrepreneuriale et équité patrimoniale.
Les droits du conjoint sur les parts sociales
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Distinction selon le type de société
Dans le cas des sociétés de personnes comme les SARL, les sociétés civiles ou les SNC, lorsqu'un apport est effectué avec des biens communs, les deux époux deviennent automatiquement associés et détiennent chacun la moitié des parts acquises, le conjoint non-souscripteur disposant d'un droit de revendication qu'il peut exercer s'il le souhaite.
En revanche, pour les sociétés par actions telles que les SA ou les SAS, seul l'époux apporteur devient propriétaire des actions, indépendamment de l'origine des fonds utilisés pour l'acquisition, même si les dividendes générés par ces actions appartiennent aux deux époux dans le cadre du régime matrimonial commun.
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Cas particulier de la séparation de biens
Dans le contexte spécifique de la séparation de biens, l'utilisation d'un compte joint pour acquérir des parts sociales crée une présomption de propriété commune qui ne peut être renversée que si l'époux apporteur parvient à prouver sa propriété exclusive des fonds utilisés, sachant qu'une reconnaissance ultérieure de la qualité d'associé au conjoint reste possible avec l'accord des autres associés.
Le statut du conjoint travaillant dans l'entreprise
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Dans le cadre d'une entreprise individuelle
Lorsque le conjoint participe à l'activité d'une entreprise individuelle, il peut opter soit pour le statut de conjoint collaborateur, qui n'implique pas de rémunération mais nécessite d'être marié, pacsé ou en concubinage, soit pour celui de conjoint salarié qui requiert l'établissement d'un contrat de travail et garantit une rémunération minimale de 1 766,92€ brut mensuel, tout en excluant toute responsabilité dans la gestion de l'entreprise.
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Dans le cadre d'une société
Le conjoint travaillant dans une société dispose de trois options statutaires distinctes : il peut devenir conjoint collaborateur, un statut réservé aux SARL et SELARL qui n'implique ni rémunération ni statut d'associé, ou opter pour le statut de conjoint salarié qui nécessite un contrat de travail formel et garantit une rémunération minimale, ou encore choisir de devenir conjoint associé, ce qui lui permet de détenir des parts sociales et de participer aux assemblées générales tout en limitant sa responsabilité à son apport.
La gestion du divorce : anticipation et protection
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Les enjeux selon le régime matrimonial
En cas de séparation de biens, la propriété des parts sociales est généralement plus claire à établir, même si l'utilisation d'un compte joint peut nécessiter de prouver l'origine des fonds utilisés pour l'acquisition des parts, tandis qu'en communauté de biens, le divorce implique nécessairement un partage de la valeur de la société et peut donner lieu à un droit de revendication des parts dans les sociétés de personnes.
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Les mesures de protection
Pour protéger l'entreprise en cas de divorce, il est possible d'inclure dans les statuts une clause de non-réclamation qui doit être signée par les deux époux, tout en maintenant le droit à la valorisation des parts pour le conjoint non-associé, ou encore d'opter pour un changement de régime matrimonial après deux ans de mariage afin de choisir un régime plus protecteur pour l'activité entrepreneuriale.
La gestion des dividendes pendant la procédure de divorce mérite une attention particulière, car les droits sur les dividendes sont maintenus tout au long de la procédure, sauf en cas de mise en réserve des bénéfices ou de report du partage des biens, ce qui peut avoir un impact significatif sur la situation financière des époux pendant cette période.
Conseils pratiques pour une création sereine
La réussite d'une création d'entreprise en étant marié repose sur une anticipation minutieuse des implications juridiques, ce qui implique d'étudier attentivement son régime matrimonial, de consulter des professionnels du droit et de prévoir les différents scénarios de développement possibles pour l'entreprise.
La protection de l'entreprise passe par la rédaction de statuts détaillés incluant des clauses de protection appropriées et par une documentation rigoureuse de l'origine des fonds utilisés, tandis que la clarification du rôle du conjoint nécessite de définir précisément son statut, de formaliser sa participation et de déclarer son activité conformément aux exigences légales.
En conclusion, la création d'une société en étant marié nécessite une réflexion approfondie et une planification minutieuse qui doivent prendre en compte non seulement les aspects entrepreneuriaux mais également les implications matrimoniales de ce projet.
La compréhension des conséquences du régime matrimonial choisi, la protection des intérêts de chacun et l'anticipation des situations futures constituent des éléments essentiels pour garantir la pérennité de l'entreprise tout en préservant l'harmonie conjugale, ce qui peut nécessiter le recours à des professionnels du droit capables d'accompagner les époux dans leurs choix et leurs décisions.